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Je rentre tout juste de Dakar, où j’ai visité la tristement célèbre décharge de Mbeubeuss, dans la banlieue de la capitale, où toute une communauté de « récupérateurs » gagnent leur vie depuis 1968.

J’y ai d’abord vu un énorme chaos d’amas de plastique dans des filets, de cannettes aplaties par des camions-bennes et de centaines de débris de métal. Mais, passée cette première impression, je me suis rendu compte que ce chaos est en réalité organisé et que l’on est peut-être face à l’ébauche d’une filière de recyclage. Les choses ne sont pas toujours aussi informelles qu'elles le paraissent. Ainsi, dès qu'un camion arrive, les ramasseurs ne se contentent pas de faire les poubelles : en fonction de leur spécialité, ils récupèrent le plastique, les boîtes de conserve, le bois, le métal, les vêtements et même les déchets organiques vendus comme aliments aux élevages industriels de porcs. Une fois qu'ils ont fait le tri, il ne reste plus rien.

Le Sénégal est bien placé pour devenir un modèle de développement durable en Afrique de l'Ouest. Le PIB par habitant s'élève à 1 500 dollars, soit un montant bien supérieur à la moyenne régionale de 1 000 dollars. Le taux de pauvreté ressort à 38 %, alors qu’il atteint en moyenne 45 % dans la région. Et 82 % de la population a accès à l'eau et à l'assainissement, contre un taux régional de 62 %.

Cependant, la gestion des déchets reste un problème majeur. En 2014, sur les 2,4 millions de tonnes de déchets solides produits par le Sénégal, près de la moitié (1,1 tonne) n'a pas été collectée.  Comme seule la moitié de la population bénéficie d'un service de ramassage des ordures, les déchets sont couramment déversés dans des décharges sauvages ou brûlés à l’air libre. La mauvaise gestion des déchets entraîne des risques pour la santé et constitue un défi environnemental qu'il faut relever.

Le 5 mars 2020, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a approuvé un nouveau projet d’un montant de 125 millions de dollars dont l’objectif est précisément d’aider à résoudre le problème de la gestion des déchets municipaux  au Sénégal et à protéger la santé et la sécurité des ramasseurs. Mbeubeuss, la principale décharge de Dakar et l'une des plus grandes d'Afrique de l'Ouest, sera au cœur de ce programme. Actuellement, les déchets collectés à Dakar y sont accumulés mais ne sont pas traités, et le site continue de s'étendre. Au fil du temps, la décharge de Mbeubeuss est devenue une source importante de pollution de l'air, du sol et de l'eau.

Créée en 1968 sur un lac en voie d'assèchement dans une zone inondable située près de la capitale, non loin de la mer, la décharge couvrait 14 hectares en 1978. À présent, 1 300 tonnes d’ordures sont déversées chaque jour par 230 camions sur 114 hectares. Environ 2 000 personnes y travaillent, réunies au sein de l'association Bokk Djom (« notre fierté commune »). Elles ramassent, lavent et vendent tout ce qu'elles peuvent trouver.

J’y ai rencontré monsieur Ndiaye qui gagne 3 000 francs CFA par jour (5 dollars) en lavant les déchets plastiques tandis que monsieur Gueye reçoit 250 francs CFA (0,40 dollar) par kilo de métal vendu. Ou encore monsieur Seck qui a 70 ans, s'enorgueillit de « vivre de la décharge » depuis 50 ans. Il emploie plus de 100 récupérateurs qui lui vendent les déchets, et lorsqu'on lui demande pourquoi il a choisi ce travail, il répond : « Vous ne voyez que des ordures. Nous, nous voyons un trésor ».

Au total, 571 femmes travaillent à Mbeubeuss, rivalisant avec des hommes plus jeunes et plus forts et gagnant souvent beaucoup moins qu'eux. Environ 200 enfants vivent et travaillent également ici. Certains sont nés sur le site, d'autres sont arrivés avec leur famille et d'autres encore ont fugué et cherchent refuge sur la décharge. Des vendeurs ambulants longent les tas de déchets et proposent des repas et des en-cas. Les vaches se promènent à la recherche de nourriture, car la vie continue autour du site.

Les 475 000 tonnes de déchets qui sont déversés chaque année sur la décharge nuisent à la santé des ramasseurs, mais aussi aux familles, aux agriculteurs et aux éleveurs qui vivent à proximité. De nombreux facteurs aggravent les risques sanitaires : la pollution atmosphérique due aux feux qui couvent sous la terre et à la combustion des déchets à l'air libre, la contamination des sols et des eaux souterraines, et la présence de polluants organiques persistants.

Ce sont des signaux clairs qui montrent que si ce travail de recyclage informel constitue un moyen de subsistance ou une solution temporaire, il est également indispensable de traiter et gérer une grande partie des déchets pour assurer une solution durable.

Le nouveau programme comprendra des mesures de développement social, entrepreneurial et d’acquisition des compétences pour ceux qui dépendent de la décharge pour vivre. Un accès sécurisé au site, la dissuasion du recours à l'incinération des déchets et la mise en place d'un programme de santé amélioreront les conditions des ramasseurs de déchets. Des services de garde d'enfants ciblés et l'inscription dans les écoles permettront d'éloigner les enfants de la décharge.

Il ciblera spécifiquement les villes côtières pour réduire les déversements de déchets dans l'océan, sachant qu'en 2012 ces villes ont généré 129 millions de mètres cubes de déchets non traités (a). Le ramassage des ordures devrait relancer le tourisme, moteur essentiel de l'économie sénégalaise.

L’urbanisation rapide du pays, avec un taux qui devrait passer de 48 % aujourd'hui à 62 % en 2025, pèsera sur la capacité des villes à gérer la collecte et le traitement des déchets.  Selon le rapport What a Waste (a), la production de déchets devrait plus que tripler d’ici 2050. Nous collaborerons avec le Fonds mondiale pour l’environnement ainsi qu’avec les agences nationales de développement française et espagnole (es) afin d’apporter un soutien coordonné.

 

 

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Simeon Ehui
Directeur régional pour le développement durable en Afrique, Banque mondiale